PUBLIÉ LE 26 janvier 2016
Par un jugement du 17 novembre 2015, le tribunal administratif de Lyon a condamné, sur le fondement de l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme, plusieurs requérants à verser au bénéficiaire d’un permis de construire une somme de 82.700 € à titres de dommages et intérêts.
Outre le montant important des dommages et intérêts alloués, cette décision apporte d’intéressantes précisions sur les circonstances dans lesquelles il peut être retenu qu’une action a été mise en œuvre « dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant ».
Instituer dans la perspective de dissuader les recours abusifs, l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme permet au bénéficiaire d’une autorisation d’urbanisme (à l’exception notable des déclarations préalables) qui ferait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, de demander au juge administratif la condamnation du requérant à lui allouer des dommages et intérêts.
Cependant, le juge ne peut faire droit à de telles conclusions reconventionnelles que lorsque l’action en annulation est mise en œuvre « dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant » et qui « causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis ».
Jusqu’à présent, le juge administratif s’est montré particulièrement prudent quant au prononcé d’une condamnation pécuniaire à l’encontre de requérants.
Cette prudence lui a d’ailleurs été reprochée puisque d’aucuns ont pu y voir une application trop restrictive de l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme. Pour notre part, nous y voyons surtout une application raisonnée de la volonté du législateur dès lors que le rapport Labetoulle à l’origine de l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme appelait à ce que ces dispositions, à « vocation surtout symbolique » ne soient mis en œuvre que très rarement.
Le risque est en effet que le mécanisme instauré soit dévié de son but initial, à savoir dissuader les recours abusifs, et serve, au contraire, à des détenteurs de permis qui cherchent à intimider les requérants en demandant des dommages et intérêts élevés dans le but de les faire renoncer à exercer leur droit d’ester en justice.
C’est donc avec d’autant plus d’intérêt que nous recevons les premières décisions qui prononcent des condamnations à l’encontre de requérants, tel le jugement du tribunal administratif de Lyon du 17 novembre 2015 (n° 1303301), partiellement reproduit ci-après :
« (...) En ce qui concerne le caractère abusif du recours :
28. Considérant, d’une part, ainsi qu’il a été dit aux points 4 à 6 du présent jugement, que les conclusions dirigées contre le permis de construire délivré à M. et Mme B. ne sont recevables qu’en tant qu’elles émanent de Mme M. E. et des consorts G., les autres requérants ne justifiant d’aucun intérêt à agir ; que les seuls requérants justifiant d’un tel intérêt, s’ils sont voisins du projet en cause, ne résident pas à proximité, dès lors que le terrain de Mme M. E. situé à proximité du projet est un terrain nu, et que le chalet, voisin du projet, dont Mme M. N. veuve G. est usufruitière, ne constitue pas sa résidence principale ; qu’ainsi la perte d’intimité invoquée au titre de l’intérêt à agir demeure relative, alors que les risques allégués d’inondations ou de déstabilisation du terrain ne sont nullement établis ;
29. Considérant, d’autre part, que les seuls requérants recevables n’ont produit une pièce utile pour établir cet intérêt à agir que le 17 juin 2015, soit peu de jours avant une mise à l’audience initialement prévue le 23 juin 2015, nécessitant un renvoi de l’affaire à l’audience du 31 août 2015, alors que les fins de non-recevoir opposées tant par la commune de Grilly que par M. et Mme B. à ce titre ont été présentées respectivement dès le 21 octobre 2013 et le 24 octobre 2013 ; que cette pratique apparaît manifestement comme dilatoire ;
30. Considérant, enfin et surtout, que la requête ne présente aucun moyen sérieux de nature à démontrer l’illégalité du permis de construire en litige, alors que nombre des moyens se trouvent inopérants, quand les autres moyens sont soit manifestement infondés, soit irrecevables, soit seulement assortis de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou manifestement pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ; qu’il ressort des pièces du dossier, que la requête a été présentée dans un contexte de conflit politique et qu’il a été fait une publicité autour de ce recours qui excède largement son cadre alors que les écritures des requérants comportent des allégations non démontrées dirigées contre les époux Bores et plus spécialement contre M. Bores relativement à l’exercice de ses fonctions d’élu ;
31. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, dans les circonstances de l’espèce, il apparaît que le recours a été mis en œuvre dans des conditions qui excèdent manifestement la défense des intérêts légitimes des requérants au sens des dispositions précitées du Code de l’urbanisme (...). »
En l’espèce, le tribunal administratif de Lyon estime que le recours a été introduit dans des conditions qui excèdent manifestement la défense des intérêts légitimes des requérants. Pour parvenir à cette solution, il opère un triple constat.
Premièrement, le tribunal relève que sur l’ensemble des requérants, seuls deux disposent d’un intérêt à agir contre le permis délivré. Mais encore faut-il préciser que leur intérêt pour contester l’autorisation en cause n’est pas évident : le premier est propriétaire d’un terrain nu à proximité du terrain d’assiette du projet ; le second est propriétaire d’un chalet qui jouxte directement le terrain d’assiette du projet mais n’est qu’usufruitier de ce chalet qui ne constitue pas sa résidence principale.
Deuxièmement, le tribunal a pris en compte l’attitude des requérants au cours de l’instance, qu’il qualifie de « dilatoire ». En effet, alors que la partie défenderesse avait soulevé une fin de non recevoir, les requérants n’y ont répondu que plus d’une année après, quelques jours avant la tenue de l’audience qui était prévu initialement.
Troisièmement, le tribunal constate que la requête ne comporte aucun moyen sérieux. A cet égard, la décision reprend les termes employés par l’article R. 222-1 7° du Code de justice administrative qui permet de rejeter les requêtes dénuées de précisions suffisantes. En outre, il remarque que la requête a fait l’objet d’une publicité qui dépasse le cadre de la seule instruction et a servi à alimenter un conflit politique.
Par ailleurs, et si la décision n’est pas reproduite sur ce point, les magistrats lyonnais considèrent également que la requête a causé un préjudice excessif au bénéficiaire du permis et retiennent comme chefs de préjudice le coût du portage financier du foncier ainsi que la perte de revenus locatifs liée au retard de la mise en location. Les requérants sont condamnés en conséquence à verser au pétitionnaire une somme de 82.700 euros.
Et de nombreux autres chefs de préjudices pourraient être indemnisés au titre de l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme : retard dans la réalisation du projet, caducité d’une promesse de vente, frais de gardiennage de la construction, perte d’exploitation, surcoût de frais de maîtrise d’œuvre, impossibilité de proposer les constructions litigieuses à la vente, …
L’addition pourrait donc s’avérer salée à l’avenir pour ceux qui agiraient avec malignité contre une autorisation d’urbanisme.
En savoir plus sur
http://www.village-justice.com/articles/Permis-construire-condamnation,21296.html#QWIb5Ud8YRDpBlTD.99